Le projet de loi sur l’immigration, dans les cartons du gouvernement depuis son adoption en conseil des ministres en mars, est examiné par l’Assemblée nationale à partir de ce mardi 28 septembre. Le texte, qui comporte 84 articles et 472 amendements, entend faciliter le renvoi des étrangers en situation irrégulière.
A la version initiale du projet de loi, ont été ajoutées les dispositions annoncées par le président de la République lors du « discours de Grenoble » du 30 juillet, parmi lesquelles figurent notamment les conditions dans lesquelles une personne récemment naturalisée pourrait être déchue de sa nationalité.
Outre ces mesures de dernière minute, le texte vise à « mettre en œuvre certaines conclusions du séminaire gouvernemental sur l’identité nationale » qui s’est tenu en février, comme le précise le compte-rendu du conseil des ministres du 31 mars.
Extension de la déchéance de nationalité
C’est la plus emblématique et la plus controversée des mesures préconisées par Nicolas Sarkozy à Grenoble, le 30 juillet. « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique », avait demandé le président de la République, soutenu dans une large mesure par sa majorité.
Un amendement déposé par des députés de la majorité va exactement dans ce sens. S’il est adopté, il modifiera l’article 222-14-1 du code pénal relatif aux violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique. Dans le cas de violences ayant entraîné la mort, une mutilation ou une infirmité permanente, le coupable pourra être déchu de la nationalité française si celle-ci a été acquise moins de dix ans avant les faits, et à condition que cette déchéance n’ait pas « pour résultat de rendre apatride l’auteur des violences ».
La polygamie, en revanche, ne figure pas parmi les motifs de déchéance de nationalité, conformément à l’arbitrage rendu le 6 septembre par Nicolas Sarkozy, qui avait ainsi désavoué son ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux.
Expulsion des étrangers communautaires
Espace Schengen ou non, un étranger venant d’un pays de l’Union européenne peut circuler librement pendant trois mois dans n’importe quel autre Etat membre. Le projet de loi propose qu’un ressortissant européen fasse l’objet d’une mesure d’éloignement en cas d’ »abus d’un court séjour » – moins de trois mois – lorsqu’il multiplie des allers-retours « dans le but de se maintenir sur le territoire » ou s’il constitue « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale ». Cette disposition, dont la conformité avec le droit européen reste à démontrer, a été ajoutée notamment afin d’expulser plus facilement les Roms en situation irrégulière.
Réduction du périmètre d’action du juge des libertés et de la détention (JLD)
Souvent critiqués par l’exécutif pour leur « laxisme », les JLD verraient leur rôle limité par ce nouveau texte s’il est adopté en l’état. « En France, deux juges interviennent dans la procédure d’éloignement : le juge administratif (tribunal administratif), qui se prononce sur la légalité de la mesure d’éloignement ; le juge judiciaire (juge des libertés et de la détention), qui se prononce sur la régularité de la procédure et le maintien en rétention », précise-t-on en préambule du projet de loi.
Actuellement, les délais imposent au JLD de se prononcer avant le juge administratif. Sur les préconisations du rapport Mazeaud (PDF), le texte propose de porter à cinq jours le délai de saisine du JLD. Ce magistrat n’interviendrait ainsi qu’après que l’administration se soit prononcée sur l’éloignement ou non d’un étranger interpellé. Selon l’Union syndicale des magistrats administratifs, cette inversion va « mécaniquement entraîner une hausse sans précédent de la contestation des arrêtés de rétention devant les juridictions administratives ». « Asphyxier le juge administratif [et] affaiblir le JLD [revient à] aliéner la justice à l’objectif de reconduire toujours plus », estime le syndicat.
(pour plus d’information sur cette question voir l’entretien de Serge Portelli, magistrat)
Transposition de la directive « retour »
Les députés européens avaient adopté le 18 juin 2008 la directive « retour » établissant notamment des « standards minimaux en matière de durée de rétention et d’interdiction de retour » des immigrés en situation irrégulière. Douze articles du projet de loi sont consacrés aux détails techniques de la transposition de ces « standards » dans le droit français. En particulier, le texte prévoit qu’un étranger en situation irrégulière renvoyé vers son pays peut être interdit de séjourner sur tout le territoire européen pendant une durée maximale de cinq ans.
Limitation du droit des étrangers malades
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit qu’un étranger peut bénéficier d’un titre de séjour si son « état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité » et « sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ».
Les débats porteront sur le terme « effectivement » de cet article. Un amendement (PDF), déposé par le député UMP Thierry Mariani et adopté en commission des lois, entend gommer ce terme. Mais des députés de l’opposition et de la majorité ont déposé d’autres amendements visant à laisser le texte en l’état.
Comme le note le député UMP Etienne Pinte, très critique envers la politique du gouvernement envers les étrangers, « s’interroger sur l’existence d’un traitement dans le pays d’origine de l’intéressé est dénué d’intérêt si l’on ne prend pas soin de vérifier qu’il y aura accès. En effet, dans l’immense majorité des pays, les traitements existent, mais ils sont réservés à une élite. Si le traitement existe mais que l’intéressé ne peut y accéder en pratique, les conséquences d’une exceptionnelle gravité sont inéluctables : aggravation de la pathologie, progression des complications, voire décès ».
Mariages « gris »
On connaissait les mariages « blancs » ; le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Eric Besson, a propulsé les mariages « gris » dans le débat médiatique, les qualifiant, en novembre 2009, d’ »escroquerie sentimentale à but migratoire ». Les « mariages gris », extrêmement difficiles à qualifier, désignent des mariages conclus entre un étranger et un ressortissant français au détriment de ce dernier, considéré comme abusé par son partenaire. Le texte propose que ces mariages soient désormais passibles d’une peine de sept ans d’emprisonnement, au lieu de cinq, et d’une amende de 30 000 euros, contre 15 000 actuellement.
http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2010/09/28/1416722.html